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Tardieu

Jean-Charles, dit Tardieu-Cochin

Paris 1765 — 1830

Saint Louis à la bataille de Damiette

Huile sur toile.
32,2 x 24,3 cm (12 11/16 x 9 9/16 in.)

Issu d’une dynastie de graveurs, Jean-Charles Tardieu est le fils et Jacques Nicolas Tardieu et le petit fils de Nicolas- Henri Tardieu, tous deux académiciens et graveurs du roi ; sa mère Claire Tournay et sa grand-mère paternelle, Marie-Anne Horthemels, pratiquaient également la gravure. Jean-Charles Tardieu apprend naturellement la gravure et devient l’élève de Charles Nicolas Cochin, dont il adjoint parfois le nom au sien. Un apprentissage dans l’atelier du peintre Jean-Baptiste Regnault, de 1786 à 1789, le détourne de cette profession pour le diriger vers la peinture d’histoire. Tardieu ne parvient pourtant pas à remporter le premier prix de l’Académie en 1790 et doit se contenter du second prix, ce qui ne l’empêchera pas de mener une carrière de peintre d’histoire pleine de succès. Il débute au Salon en 1793 et participe aux huit expositions du Louvre entre 1806 et 1822. En 1800, il épouse Prudence Lemachois, fille du procureur de Rouen et de Marthe Victoire Heuzey. Dans cette famille où toutes les femmes sont musiciennes et professeur de musique, naîtra en 1818, de Victoire Lemachois, sœur de Prudence, le futur compositeur Charles Gounod. Cet environnement familial, à la fois culturel, artistique et politique, est bénéfique à la carrière de Tardieu et lui permet de vivre de son talent. Il obtient de nombreuses commandes officielles, d’abord sous l’Empire avec par exemple L’Empereur Napoléon reçoit la reine de Prusse (Salon de 1808 – Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon) et L’Empereur remettant une pension de cent napoléons à Nerocki âgé de 117 ans (Salon de 1812, en dépôt au château de Versailles). Le succès ne le quitte pas sous la Restauration et il continuera à travailler pour Louis XVIII et Charles X, avec des allégories telles que Clio inspirée à la vue du buste de Louis XVIII ou L’Allégorie de la naissance du duc de Bordeaux (achetée par la ville de Rouen).

Cette belle esquisse pleine de vivacité est préparatoire à une huile sur toile placée dans la chapelle de l’ancien couvent des Récollets dite chapelle des Récollets (Privas, Auvergne- Rhône-Alpes). Le tableau, réalisé en 1822, célèbre l’un des épisodes guerriers de la septième croisade, menée de 1248 à 1249, la prise de la ville de Damiette par Louis IX et ses hommes contre le sultan d’Égypte Malik al-Salih Ayyoub, alors malade. À l’arrière-plan, dans le navire, Marguerite de Provence est représentée les mains jointes, en prière. La Reine, qui avait suivi son époux dans la septième croisade lors de laquelle elle donna naissance à ses trois enfants, sut négocier avec habileté la libération du roi prisonnier en 1250.

Le projet de l’esquisse est très proche de l’œuvre peinte, hormis quelques différences minimes, dont par exemple un casque qui roule sur le sol, les constructions à l’arrière-plan, la couleur du drapeau qui flotte sur le navire. D’une touche enlevée, le peintre perpétue au premier quart du XIXe siècle la tradition académique de la peinture d’histoire avec la représentation, non plus des grands faits de l’histoire antique, mais des grands moments de l’histoire nationale, le récit de celle-ci étant devenu l’une des préoccupations des peintres de l’Académie à partir des années 1770-1780 et connaissant un revival notable sous la Restauration.

Des recherches approfondies menées par Gérald Lefebvre ont permis de replacer cette composition historique dans un ensemble plus large, de cinq grandes compositions historiques et de deux allégories réalisées pour « l’appartement de SAR Monsieur à Fontainebleau », selon une note manuscrite de la veuve de Tardieu qui inventorie les œuvres de son mari acquises par les différentes ministères1. L’ensemble était en réalité destiné à être tissé par la manufacture des Gobelins. En effet, un devis du 11 juillet 1820 établi par l’Intendance du Garde Meuble de la Couronne fait état d’une dépense relative à l’exécution de « tableaux devant servir à l’exécution de cartons pour les tentures des Gobelins destinées au Salon de l’appartement de SAR monsieur à Fontainebleau2 ». Il s’agissait donc de décorer le salon des appartements du comte d’Artois, futur Charles X. Le devis détaille les sujets :

  1. Saint Louis rendant la justice sous un chêne de Vincennes : autrefois dans les collections du Louvre (INV 8096), le tableau a été mis en dépôt au musée municipal Mathon-Durand à Neufchâtel-en-Bray mais semble aujourd’hui perdu.
  2. Saint Louis à Damiette s’élançant sur le rivage contre les sarrasins et donnant ainsi l’exemple à ses troupes : le tableau correspondant à ce sujet et à notre esquisse est daté de 1822 ; il est conservé à la chapelle des Récollets, à Privas.
  3. Saint Louis lavant les pieds aux pauvres le jeudi saint : le tableau, appartenant au Louvre (INV 8097) est en dépôt à l’église Notre-Dame d’Orbec, à Orbec.
  4. Henri IV à la bataille d’Ivry, après avoir donné ordre à ses généraux, leur montre son panache blanc comme point de ralliement et y ajoute ces paroles mémorables : « Vous le trouverez toujours dans le chemin de la gloire et de l’honneur ». Le tableau est daté de En dépôt au musée du château de Pau, il appartient au musée du Louvre (INV 8101).
  5. Henri IV pendant le siège de Paris y laisse pénétrer les vivres et fait distribuer des secours à ceux des habitants qui se réfugient dans son camp : le tableau, qui appartient au musée du Louvre (INV 8102), est conservé au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.
  6. Figures et symboles allégoriques représentant les vertus particulières aux Bourbons : la Prudence et la force ; la générosité et la bonté : les œuvres pour lesquelles deux modelli subsistent dans une collection privée, ont été identifiées au musée de Valence par Gérald Lefebvre.

Les tableaux furent remis à l’administration royale par Tardieu le 21 juillet 18243 au prix de 4500 francs chacun. Finalement, selon Fernand Calmette, seules les allégories auraient été tissées, répertoriées comme la Vérité et l’Abondance (ce qui ne semble pas tout à fait correspondre à la description du devis, aux modelli et aux tableaux de Valence) mais les tapisseries ont disparu dans l’incendie des Gobelins en 18714. Toujours selon Calmette, l’ensemble des tableaux historiques aurait été jugé trop faible. Seul Saint Louis débarquant à Damiette fut présenté à la commission des inspecteurs et aux chefs d’atelier de la Manufacture des Gobelins. Le tableau ne fut pas jugé apte à être traduit en tapisserie et la suite ne fut pas réalisée. Il semble surtout qu’à la mort de Louis XVIII, perdant ses protecteurs dans l’administration royale, Tardieu ait cessé pendant un certain temps de recevoir les appuis et les faveurs dont il bénéficiait jusque-là.

Les modelli paraissent être restés ensemble jusqu’à leur dispersion en vente publique relativement récemment. Peut-être sont-ils restés dans l’atelier de Tardieu : ils ne sont pas explicitement répertoriés dans l’inventaire après-décès du peintre mais peuvent avoir été listés sous le lot « huit esquisses peintes à l’huile représentant divers sujets et compostions prisés la somme de vingt-quatre francs »5.

La découverte de ce modello permet de revenir sur ce qui aurait pu être l’une des grandes commandes décoratives et historicistes de la Restauration, à l’exemple de la tenture tissée entre 1820 et 1827 d’après des compositions de Georges Rouget et destinée à décorer la salle du trône du palais des Tuileries, mal accueillie elle-aussi, et finalement mise en place dans le salon François Ier du château de Fontainebleau sous Louis-Philippe.

  1. Conan-Belleville, Lyon, vente « Manuscrits -Autographes- Archives-Documents historiques » le 19 janvier 2023, lot 481.
  2. Archives Nationales, O/3/1980, Devis des tableaux devant servir de cartons pour la tenture des Gobelins destinées au salon de l’appartement de SAR Monsieur à Fontainebleau, 21 juillet 1820.
  3. Archives Nationales A. N., 0/3/1980, Mémoire de Tardieu pour la réception des œuvres, 21 juillet 1824.
  4. F. Calmettes, État général des tapisseries de la manufacture des Gobelins depuis ses origines jusqu’à nos jours 1600-1900, publié par M. Fenaille. Période du dix-neuvième siècle 1794-1900. Paris, Hachette et Cie, 1912, p. 94 et p. 102-103.
  5. Archives Nationales, MC/ET/CXVII/1142, 21 mai 1830.