Flandrin
Hippolyte
Lyon 1809 — Rome 1864
Portrait de madame de Saint-Didier,
née Pauline Ferrez (1825-1900)
Huile sur toile.
Signé et daté Hipte Flandrin 1849 au centre à droite.
81,8 x 65,5 cm (32 3/16 x 25 13/16 in.)
Madame de Saint-Didier, née Pauline Ferrèz (1825 – 1900), modèle de notre tableau ; Ferdinand, baron de Saint-Didier (1847-1930), fils de la précédente ; passé par héritage jusqu’à ce jour.
Henri Delaborde (contributeur), Lettres et pensées d’Hippolyte Flandrin : accompagnées de notes et précédées d’une notice biographique et d’un catalogue des œuvres du maître, Paris, H. Plon, p. 99 ; Louis Flandrin, Un peintre chrétien du XIXe siècle : Hippolyte Flandrin, Paris, Perrin, 1909, p. 350 ; Hippolyte, Auguste et Paul Flandrin, une fraternité picturale au XIXe siècle, exh. cat., Paris, RMN, 1984, p. 222.
Commencé le 16 mai 1849, ce portrait compte parmi les plus belles représentations de femmes du peintre lyonnais Hippolyte Flandrin, élève favori d’Ingres et portraitiste talentueux. Issus d’une fratrie caractérisée par un attachement mutuel profond et touchant, Hippolyte et son jeune frère Paul partent pour Paris en 1829 et entrent dans l’atelier d’Ingres. Leur aîné Auguste, ancien élève de Fleury-Richard, resté à Lyon comme soutien de famille, les rejoindra un peu plus tard. Hippolyte remporte le prix de Rome en 1832 et passe six ans dans cette ville où il étudie les grands maîtres et la peinture d’histoire. Paul le suit en Italie à ses frais et se spécialise dans la peinture de paysage. Un double autoportrait conservé au Louvre, réalisé de concert par les deux frères à Rome en 1835, immortalise cette relation fusionnelle. Auguste les retrouve au début de mai 1838. Sa mort en 1842, peu de temps après leur retour à Paris, plongera Hippolyte et Paul dans une immense tristesse. Hippolyte se consacre alors presqu’exclusivement à la peinture religieuse et reçoit de nombreuses commandes de décors d’églises. Ceux de l’église Saint-Germain-des-prés (1846-1848) sont parmi les plus spectaculaires et lui apporteront de nombreuses autres commandes.
En excellent état, sur sa toile d’origine, ce portrait de madame de Saint-Didier est l’un des plus beaux exemples de l’art du portrait tel que l’artiste l’a hérité de son maître Ingres et développé à sa manière, tout en finesse psychologique et dans une facture lisse et extrêmement soignée. Nous remercions Elena Marchetti et Stéphane Paccoud qui ont eu l’amabilité de nous signaler deux lettres d’Hippolyte qui, après un séjour à Nîmes où il a réalisé des décors pour Saint-Paul, passe quelques semaines à Lyon, assiste à l’insurrection des Voraces en juin, avant de rejoindre Paris. Le 15 mai, il écrit à Paul « Nous restons ici jusqu’à l’installation de la nouvelle assemblée et peut être pour profiter de mon temps vais-je faire le portrait de Mme de St Didier fille de Mr. Ferez. Ça me fait bien peur. » Il s’y met sans tarder puisque le 17 mai, il écrit « Hier j’ai commencé le portrait de Mme de Saint-Didier. Ça peut être très beau mais il faudrait y avoir un peu plus que l’été. Enfin je ferai mon possible ».
L’intuition de l’artiste s’avère juste ; le portrait est en effet très beau, peut-être même l’un des plus intrigants, par sa technique impeccable, mais aussi par sa capacité à restituer la présence troublante du modèle. Pauline Ferrez (1825-1900), fille d’un médecin lyonnais, avait épousé Ennemond Hubert de Saint- Didier (1814-1898), issu d’une ancienne famille aristocratique de Lyon. Fils de Balthazar Augustin Hubert de Saint-Didier (1779- 1863) auteur de plusieurs vues et sites des environs de Lyon et d’un Voyage pittoresque du Bugey (1837), Ennemond est mentionné comme administrateur des hospices en 1844.
On retrouve dans cette œuvre l’attention portée aux mains des modèles, propre à Flandrin, qui donne à l’œuvre sa dynamique interne. Ainsi dans le Portrait de madame Flandrin, conservé au musée du Louvre et peint en 1846, l’épouse du peintre pose la main gauche sur la joue, le bras droit posé sur le ventre et entourant la taille. La pose et le regard sont pensifs, chastes, introspectifs. Comme dans notre œuvre, le fond est vert et le détail d’un châle indien vient colorer la scène d’une touche raffinée. Dans notre portrait cependant, les mains du modèle ont quelque chose de plus provocant. L’une est posée sur la poitrine, dans une crispation presque maniérée, mais qui donne l’occasion au peintre de démontrer son talent dans le dessin et le modelé de cette partie anatomique parfois difficile, l’autre est posée sur le haut des cuisses. Les courbes de ces bras et de ces mains sont d’une grande sensualité, ce qui est rare chez ce peintre dont le tempérament est très retenu. Leur effet est très différent de celui des bras de madame Louis Antoine de Cambourg par exemple, qui s’étendent calmement tandis qu’elle fixe le spectateur de ses grands yeux interrogatifs. Madame de Saint-Didier apparait comme une femme voluptueuse et il est possible que l’artiste retrouve en elle un tempérament plus méridional à l’image de celui des femmes peintes par l’artiste lors de son séjour italien, notamment la très sensuelle Florentine (1840).
Pour souligner encore ce côté voluptueux, l’artiste a choisi de délimiter l’image dans un format aux coins coupés, presqu’ovale, laissant les quatre coins peints sommairement mais tout de même suffisamment pour que le tableau puisse être ensuite replacé dans un cadre rectangulaire, celui qui lui a été choisi par la famille un peu plus tard et qu’il conserve aujourd’hui. Le choix du format avait un sens chez Ingres et ses disciples. Il suffit pour cela de se remémorer le triptyque de la famille Rivière peint par Ingres en 1805 et les choix des différents formats pour le père solide, la mère toute en courbes et la jeune fille innocente. Le choix de l’ovale pour une femme très féminine, déjà mère de deux enfants, Béatrice et Ferdinand, n’est peut-être pas anodin.1 Pauline Ferrez a également été portraiturée par Louis Janmot en 1851 dans un très beau dessin conservé dans la collection Tomaselli à Lyon(Fig. 1)2. Curieusement, si l’on reconnait ses grands yeux en amandes et sa petite bouche modelée, elle semble beaucoup plus jeune sur ce dessin que sur le portrait de Flandrin réalisé pourtant deux ans plus tôt. Gracile, presque fragile, sans buste, elle parait très jeune, presqu’encore une toute jeune fille, très loin de la femme toute en rondeurs peinte par Flandrin, une toute autre version de la féminité.
- Il faut tout de même remarquer que Flandrin a également utilisé le format ovale pour de plus jeunes filles.
- Crayon graphite sur papier vélin, 430 x 290 Signé et daté 1851, partiellement inscrit Place d’Ainay / Mr St Did au verso.