
Ricci
Marco
Belluno 1676 — Venise 1730
Caprice architectural
Tempera sur papier fixé au panneau d’origine.
316 x 456 mm (12 7/16 x 17 15/16 in.)
C’est dans l’atelier de son oncle, le célèbre Sebastiano Ricci, que Marco fait son apprentissage dans les années 1690 ; il acquiert une habileté spectaculaire pour peindre les architectures et les paysages, ce qui fera de lui l’un des peintres vedutistes les plus importants de son temps. Impliqué dans une affaire de meurtre, il s’exile quatre ans à Split en Dalmatie, où Sebastiano Ricci le recommande à un bon peintre paysagiste local1. À Venise en 1700, il travaille en tant que peintre de décors pour le théâtre et collabore régulièrement avec son oncle grâce auquel il accède à des commanditaires prestigieux comme Ferdinand de Medici. Ses œuvres de jeunesse montrent l’influence de Salvator Rosa, Johan Anton Eismann et du Cavalier Tempesta, mais surtout d’Alessandro Magnasco2 et d’Antonio Francesco Peruzzini dont il adopte la tonalité sombre et les effets luministes. Progressivement son style se personnalise, ses paysages s’éclaircissent, deviennent plus aériens et ses personnages prennent de l’importance. En 1708, avec Gian Antonio Pellegrini, il accompagne Charles Montagu, quatrième comte de Manchester à Londres. Là, il est immédiatement employé par le théâtre de la Reine à Haymarket pour faire des décors d’opéra, dont ceux du prestigieux Pirro e Demetrio d’Alessandro Scarlatti et Niccòlo Heym. Entre 1709 et 1710, il travaille avec Pellegrini aux décors des demeures du comte de Manchester à Londres et à Kimbolton, ainsi qu’à ceux de Castle Howard. Revenant brièvement à Venise pendant l’hiver 1711-1712, il repart pour Londres, accompagné de son oncle cette fois-ci. Tous deux vont produire pour le duc de Buckingham, Lord Burlington, Richard Boyle, Henry Bentinck (futur duc de Portland), seuls ou en duo, des œuvres d’une qualité exceptionnelle. Enfin de retour dans leur ville natale en 1716, les Ricci continuent à fréquenter le milieu anglais autour du consul Joseph Smith, probablement leur plus grand mécène, qui réunit quarante-deux peintures, cent cinquante dessins de paysages, projets de théâtre et caricatures de Marco, qu’il fit graver en 1743 par Anton Maria Zanetti. Marco fut aussi graveur et réalisa des eau-fortes de paysages dont on ne connaît que trente-trois exemples. Ses gravures sont aussi cruciales que ses peintures de paysages dans le développement de ce genre au XVIIIe siècle, influençant des artistes comme Canaletto, Michele Marieschi, Francesco Guardi, Giuseppe Zais, Francesco Zuccarelli et Giovanni Battista Piranesi.
La moitié de l’œuvre de Ricci est constituée de cent cinquante petits paysages, la plupart mesurant environ 30 x 45 cm, rarement peints sur papier mais plutôt à la tempera principalement sur peau de chevreau, une habitude possiblement prise lors de son séjour à Londres. Les couleurs vives et lumineuses de ces œuvres témoignent de l’extraordinaire maîtrise technique de l’artiste, qui multiplia cette production de retour à Venise, principalement pour les visiteurs étrangers.
Dans ces nombreux caprices ensoleillés, aux couleurs vives et mates, le peintre accumule et assemble divers motifs architecturaux tirés de l’Antiquité – des colonnes, des arches, des portiques, des obélisques – avec des éléments d’architecture gothique ou moderne, ainsi qu’avec des éléments naturels. On retrouve dans ces œuvres l’idée poétique des personnages errant dans les ruines, archéologues, philosophes, poètes ou admirateurs, parfois pilleurs, motif cher à tous les peintres de ruines, de Piranèse à Hubert Robert. Le sujet est ici celui des lavandières. Elles se sont installées dans un site antique pour faire leur travail. Le lavoir est situé en contrebas, sous une arche, d’où elles émergent avec les vêtements mouillés. Entourées de ruines et de vestiges antiques, elles essorent le linge et l’étendent au sommet d’un monticule, en face du portique de style corinthien d’un temple antique. La fraîcheur de l’air et la sensation du vent sont magnifiquement rendues dans cette gouache claire et lumineuse.
Le motif du temple à colonnes, ici corinthiennes, sur la droite de notre œuvre, réapparait dans d’autres gouaches de l’artiste, parfois doriques ou ioniques selon les cas. Ceci illustre parfaitement la méthode de travail de l’artiste qui réemploie dans différentes compositions des motifs ou des parties de motifs qu’il affectionne en introduisant quelques variations. C’est sans aucun doute par sa longue expérience de décorateur dans les différents théâtres de Londres et de Venise que Ricci a pu acquérir cet art de la composition et du caprice architectural appelé à une grande postérité tout au long du XVIIIe siècle.
- Tommaso Temanza, Zibaldone di memorie storiche (1738-1778), sous la direction de N. Ivanoff, Venise, Istituto per la collaborazione culturale, 1963.
- Il peint d’ailleurs un Paysage avec des anachorètes, encore appelé Tébaïde en collaboration avec Alessandro Magnasco et Nicolas van Oubrachen en 1705 (Bolgheri, collection Della Gherardesca).