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Gellée

Claude, dit Le Lorrain

Chamagne 1600 ou 1604/1605 — Rome 1682

Moïse et le buisson ardent

Pierre noire et lavis brun. Traits d’encadrement à l’encre brune.
Inscription autographe au verso Claudio Gillee Dito il lorenses 1663 fecit et par une main plus tardive en bas sous le trait d’encadrement F. PRODIGO.
195 x 255 mm (7 11/16 x 10 in.)

Provenance

Originellement dans l’album dit « album Wildenstein », probablement assemblé par les héritiers de Claude et qui, selon la tradition, aurait été vendu à Christine de Suède (1626-1689) avant de rejoindre la collection du cardinal Decio Azzolino dont le neveu Pompeo Azzolino l’aurait lui-même vendu en 1696 au prince Livio Odescalchi (à moins qu’il ait été vendu directement à Livio Odescalchi par les héritiers de Claude) ; dans une collection polonaise jusqu’en 1939 ; chez Georges Wildenstein de 1960 à 1968 ; chez Norton Simon, Pasadena, Californie ; démantelé en 1970 et vendu en feuilles séparées en 1980-1981 ; Sotheby’s, New York, 26 janvier 2000, lot 37 ; collection privée.

Bibliographie

M. Roethlisberger, Claude Lorrain, the Drawings, University of California Press, 1968, volume 1, p. 344 et volume 2, n° 925, illustré ; M. Roethlisberger, Claude Lorrain, L’Album Wildenstein, Paris, Les Beaux-Arts, 1962, p. 25-26, n° 37, illustré planche 37 ; M. Roethlisberger, The Claude Lorrain Album in the Norton Simon, Inc. Museum of Art, Los Angeles County Museum of Art, 1971, n° 48, illustré planche 48.

Exposition

California Palace of the Legion of Honor, San Francisco, 1970 (sans catalogue).

Originaire de Lorraine, comme l’indique son surnom, Claude Gellée partit pour l’Italie dans sa prime jeunesse, pour des raisons qui diffèrent selon ses biographes. Il semble qu’il ait habité Rome et Naples et travaillé pour Goffredo Wals et Agostino Tassi. Après un bref retour en Lorraine de 1625 à 1627 dans l’atelier de Claude Deruet, il retourne à Rome où il s’installe définitivement. Là, il se rapproche des Fiamminghi, les peintres nordiques installés à Rome qui avaient fondé la Schildersbent (« bande des peintres ») parmi lesquels Herman van Swanevelt, Cornelis van Poelenburgh et Bartholomeus Breenbergh étaient célèbres pour leur habitude de dessiner à l’extérieur, sur le motif. Joachim Sandrart, peintre et théoricien, principal biographe de Claude, raconte comment l’artiste « essaya par tous les moyens de pénétrer la nature, s’allongeant dans les champs avant le lever du jour et jusqu’à la nuit pour apprendre à représenter très exactement la lumière rouge du matin, l’aube, le crépuscule, les heures du soir ». Cette habitude poétique, mais fastidieuse, fut remplacée par celle de peindre directement en plein air, que lui auraient apprise Pieter van Laer et Joachim Sandrart.

Ce dessin provient de l’album dit « album Wildenstein », publié plusieurs fois par Marcel Roethlisberger selon lequel « presque chaque feuille est l’un des meilleurs exemples de son genre ou un spécimen sans équivalent1 ». Il s’agit d’une étude préparatoire à la figure de Moïse pour le tableau Moïse devant le buisson ardent aujourd’hui conservé dans les collections du duc de Sutherland à la Bridgewater House2 . Comme à son habitude, Claude a réalisé un ricordo du tableau dans son Liber Veritatis (L.V. 161 ; British Museum, n° 1900.8.24.154) et a inscrit le nom du commanditaire et la date de réalisation : « ce tablaux faict pour / l’ill.mo sig. monsigneur / de Bourlemont / Claudio Gillee / fecit / Roma 1664 ». Premier diplomate français à Rome pendant les vacances du poste d’ambassadeur, Louis d’Anglure de Bourlemont (1618-1697) servit aussi d’agent à Colbert pour les achats d’œuvres d’art. D’origine lorraine comme Claude, il lui commanda ou lui acheta au moins cinq tableaux dont, outre Moïse et le buisson ardent, Céphale et Procris (L.V. 163), Apollon et la Sibylle (L.V. 164), Démosthène sur le rivage (L.V. 171). Il fut l’un des deux mécènes bénéficiant d’un legs de l’artiste dans son testament. D’autres dessins en rapport avec le tableau sont conservés dans la collection du duc de Devonshire à Chatsworth (n°s 872 et 938) et dans les collections royales à Windsor (n° 13082). Claude fit une copie du dessin du LV 161 en 1664 pour le père jésuite Lazzaro Sorba, ainsi que d’après Tobie et l’Ange de 1663 ; toutes deux sont conservées au Kupferstichkabinett du Staatliche Museen de Berlin (n°s 1472 et 1473).

Ce beau dessin, qui se concentre sur la représentation de la figure de Moïse, rappelle que les personnages de Claude ne sont souvent considérés que comme de simples accessoires, voire des prétextes, à la peinture de paysages. John Ruskin cite le tableau de Bridgewater comme l’exemple même de son « incapacité à comprendre l’essentiel dans tout ce qu’il a eu à représenter ». Et pourtant, Claude ne manque pas de finesse d’interprétation ni de poésie dans cette représentation d’un Moïse qui n’a encore rien d’un patriarche mais n’est pour l’instant qu’un jeune berger3 courant la campagne, enjambant rochers et broussailles devant un ciel ample et parsemé d’oiseaux. Encore grisé par sa course en pleine nature, il vient d’apercevoir le buisson ardent et d’entendre son nom prononcé et il s’agenouille brusquement sur une pierre, frappé de surprise, que l’artiste restitue par le mouvement de torsion de sa main gauche et l’expression du visage. Selon Marcel Roethlisberger, « les treize dessins de figures [de l’album Wildenstein], dont plusieurs sont en rapport avec des peintures majeures pour des familles papales ou princières, sont sans parallèle en nombre et en qualité4 ».

La poésie bucolique qui se dégage des œuvres de Claude Gellée n’a pas échappé à ses contemporains mais l’artiste n’acceptait qu’exceptionnellement de vendre ou de donner ses dessins. Ici, Moïse est très proche de la figure du tableau, mais le buisson ardent est à peine visible sur la gauche. Le paysage est cadré différemment et le dessin porte des traits d’encadrement tracés par l’artiste, ce qui témoigne de sa volonté de faire du dessin une image autonome du tableau, d’ailleurs réalisé un an plus tard. Il ne s’agit donc pas d’une reprise du personnage, mais d’une étape antérieure dans le processus de création de l’œuvre peinte, d’une réflexion dessinée sur la figure de Moïse représenté au moment de sa révélation.

  1. M. Roethlisberger, 1971 (voir bibliographie), p. 7.

  2. Catalogue of the Bridgewater and Ellesmere collections of pictures at Bridgewater House, Cleveland square, St James, London, 1897, p. 8, n° 41.

  3. Bien que selon la Bible, Moïse ait eu déjà 80 ans au moment de la révélation et ait vécu jusqu’à 120 ans.

  4. M. Roethlisberger, 1971 (voir bibliographie), p. 7.