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Boutet de Monvel

Bernard

Paris 1881 — São Miguel (Açores) 1949

Portrait de Miss Virginia Thaw
(1911-1997)

Graphite, estompe, mise au carreau.
630 x 481 mm (24 12⁄16 x 18 1516 in.)

Provenance

Barry Friedman Ltd., New York.

Peintre et décorateur français aux multiples talents, Bernard Boutet de Monvel est issu d’une ancienne famille de Lorraine tournée vers les arts, ce qui explique probablement son sens inné du goût et du style. Son ancêtre, François Boutet de Monvel (1720-1780), musicien et acteur à la comédie française, était aussi directeur des menus-plaisirs du roi de Pologne Stanislas Leszczynski à la cour de Nancy, et son père, Maurice Boutet de Monvel, était peintre et illustrateur pour enfants. Bernard se forme auprès du peintre Luc-Oliver Merson et du sculpteur Jean Dampt. Proche du graveur Eugène Delâtre, il apprend l’estampe à l’eau-forte, notamment à la technique de la couleur au repérage et dès 1912, son œuvre gravé fait l’objet d’une exposition rétrospective à Chicago. Ses portraits peints sont tout aussi rapidement appréciés. Il expose au Salon d’automne et au Salon des Indépendants, ainsi qu’aux expositions du Carnegie Institute de Pittsburgh (Pennsylvanie) et son style évolue, passant d’une matière brutale à un pointillisme précis puis au style à la fois linéaire et lumineux qui a fait son succès. Pourtant ce style rectiligne ne fut pas très bien reçu à ses débuts : en 1909, son portrait d’un dandy place de la Concorde, exposé à la galerie Devambez sous le nom d’Esquisse, pour un portrait entièrement travaillé à la règle et au compas, qui anticipe totalement la peinture Art Déco, est moqué par la critique. Boutet s’en tient à ce nouveau style d’une sobriété extrême, sur le plan des formes comme des couleurs.

Parallèlement à ses expérimentations sur le plan artistique, il travaille pour diverses revues auxquelles il fournit de nombreuses illustrations de mode et des dessins humoristiques. Il travaille en collaboration avec le couturier Paul Poiret pour lequel il dessine des modèles ainsi que des cartes et affiches publicitaires. Il participe avec Lucien Vogel à la Gazette du bon ton et collabore au Journal des dames et des modes, dont la publication reprend en 1912. Son courage et ses faits d’armes pendant la Première Guerre Mondiale lui valent la légion d’honneur et cinq citations. En 1917, il est affecté à Fez au Maroc, où il reprend la peinture, exécute des vues synthétiques et géométriques de la ville et de ses habitants. À l’inverse de beaucoup de peintres orientalistes, il n’abuse pas des couleurs vives et des effets décoratifs faciles, mais s’en tient aux valeurs. Ces œuvres singulières sont exposées en 1925 à la galerie Henry Barbazangues. De retour à Paris, il épouse la Chilienne Delfina Edwards Bello (1896-1974) et reprend son activité de portraitiste, particulièrement des sportifs et des dandys, d’illustrateur de revues de mode et d’ouvrages littéraires. Il se lance dans la peinture décorative, et travaille entre autres à l’aménagement de l’hôtel parisien de Jean Patou et de la villa de Jane Renouardt à Saint-Cloud.

En 1926, une rétrospective de ses œuvres est organisée à New York, à la galerie Anderson, ainsi qu’une exposition de ses peintures au musée d’art de Baltimore en 1927. Devenant rapidement l’artiste favori de la Café Society américaine, il portraiture les plus grandes familles dont les Vanderbilt, les Frick, les du Pont. Au moment du krach de 1929, il reçoit moins de commandes et prend alors plus le temps de s’intéresser aux vues urbaines, aux immeubles, à l’architecture, aux ponts. Ses œuvres dans cette veine, entre abstraction et réalisme photographique, le placent parmi les peintres les plus importants du précisionnisme.

C’est à cette époque, en 1930, alors qu’il est au sommet de sa popularité américaine, que Boutet peint le portrait de Virginia Thaw1 (1911-1977) pour lequel ce dessin est préparatoire. D’un trait précis et géométrique, comme tracé à la règle et au compas, notre dessin est le summum de l’art du portrait de Boutet de Monvel qui par sa précision, sa sobriété, son sens de la composition et du style offre des effigies d’une élégance totale. En 1928, Boutet avait peint à Paris le portrait du père de la jeune femme2, William Thaw III, pilote durant la Seconde Guerre Mondiale et inventeur, originaire d’une famille de Pittsburgh. Les débuts de Virginia dans le monde, lors d’un bal donné par ses parents le 21 décembre 1929 au Ritz-Carlton, sont décrits dans le New York Times du lendemain : « Hier soir, le diner, réservé aux plus vieux amis de la famille, a été servi dans le jardin perse, qui, comme la salle de bal, avait été transformé par Joseph Urban en un jardin d’hiver. Des fleurs dorées et couleurs pêche étaient disposées, en harmonie avec la robe de la débutante. Madame Thaw et sa fille recevaient leurs invités dans une petit salon pêche et doré adjacent au jardin perse dans l’un des étages supérieurs de l’hôtel. Les tables se trouvaient sous un dais doré à travers lequel scintillait un ciel étoilé. De nombreux bambous, ornés de lampions blancs, étaient rassemblés dans le jardin. Après le dîner, les invités sont descendus par un ascenseur joliment décoré dans la salle de bal, d’où ils pouvaient accéder à la terrasse d’un jardin élégant, empli de fleurs bleues, pêche et dorées. » L’article continue, décrivant le luxe des pièces de réception et donnant la liste des invités. Ici, la jeune femme est représentée dans une robe très simple, noire et blanche sur la peinture, réputé par tradition familiale être un modèle de la maison Chanel, ce qui est tout à fait envisageable. Son beau visage et son regard clair se détachent sur quelques branches de palmiers. Une photo de George Hoyningen-Huene, célèbre photographe de mode, la représente en 1932, assise et portant un chapeau de Suzanne Talbot ; la pose et les effets géométriques de la photographie ne sont pas sans évoquer l’art de Boutet de Monvel et témoignent de l’influence essentielle du peintre sur le style des années 1930 en France comme aux États-Unis. Virginia Thaw épousera le joueur de polo Rodman Wanamaker II (1899-1976) dont c’est le quatrième mariage.

  1. Barry Friedman Gallery, Bernard Boutet de Monvel, (catalogue de l’exposition tenue à New York, 1er novembre, 1994 -7 janvier 1995), 1994, n° 28 ; Christie’s New York, 10 décembre 1998, lot 184.
  2. Le portrait provenait de la collection de Virginia Thaw, qui avait épousé le joueur de polo Rodman Wanamaker II (1899-1976) dont c’était le quatrième Le tableau a été légué à la belle fille de Virgina, Lynn Wanamaker (1951-2024), épouse de Francis B. Rice, et a finalement rejoint la collection du peintre Henry Koehler (1927-2019) qui a été dispersée le 22-23 septembre 2021 à la Stair Gallery, Hudson NY (lot 44).