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Baudouin

Pierre-Antoine

Paris 1723 – 1769

Phryné accusée d’impiété devant l’Aréopage d’Athènes

Graphite et gouache sur papier collé sur carton. Dans son cadre d’origine. Inscription du XVIIIe siècle ou du début du XIXe siècle sur le carton de dos du cadre Jugement inique rendu à Babylone contre Suzanne fille d’Hélias l’an 607 av. j.c.
53,2 x 45 cm (20 15/16 x 17 3/4 in.)

Provenance

Vente De Baecque, Paris, 20 novembre 2015, p. 9, lot 20 ; collection privée.

Bibliographie

Nathalie Lemoine-Bouchard, Les peintres en miniature actifs en France, 1650-1850, Les éditions de l’Amateur, 2008, p.76-77, cité p. 77, reproduit p. 25 dans l’Introduction (p. 1-37)

Agréé à l’Académie royale de peinture et de sculpture le 26 novembre 1761, Baudouin expose au Salon cette même année des portraits en miniatures et des sujets d’histoire. Il a pour ambition de hisser la miniature au rang de peinture d’histoire et le morceau de réception qu’il présente à l’Académie en Août 1763, Phryné devant l’Aéropage1 puis qu’il expose au Salon la même année, est une œuvre à la gouache sur papier contrecollé sur des plaques d’ivoire, très proche par sa composition, ses coloris et sa technique de celle que nous présentons ici, bien qu’un peu plus petite en taille.

Au verso de notre œuvre se trouve une inscription ancienne donnant pour thème le jugement de Suzanne. C’est possiblement la présence de deux hommes âgés et barbus, l’un qui dénude l’accusée, l’autre qui écrit, qui a poussé l’auteur de l’inscription à y reconnaître ce sujet biblique. Il ne peut pourtant s’agir de cet épisode de l’Ancien Testament pour plusieurs raisons, les plus importantes étant d’une part la statue d’Athéna qui situe la scène dans la ville antique et au cœur de son tribunal, d’autre part l’absence de Daniel, le juge jeune et sage qui innocente Suzanne. Une autre raison pourrait être l’attitude de la jeune femme qui ne songe pas à couvrir son sein dénudé, contrairement à Suzanne dont la pudeur est en jeu. Il s’agit donc bien là aussi de Phryné de Thespias, courtisane de la Grèce antique du IVe siècle avant notre ère et modèle du sculpteur Praxitèle pour ses sculptures d’Aphrodite. Selon Athénée de Naucratis2, Phryné aurait été accusée de meurtre par l’un de ses anciens amants, Euthias. On lit aussi qu’elle était accusée d’introduire une divinité étrangère à Athènes, crime qui entraînait la peine de mort3, comme ce fut le cas pour Socrate. Son avocat, l’orateur Hypéride, à court d’argument et sentant sa cause perdue, « déchira sa tunique et dévoila sa poitrine à tout le monde », geste traditionnel de supplication dans l’antiquité grecque, plus tard interprété à tort comme un geste de séduction. Les juges saisis par la pitié et la crainte religieuse la firent acquitter.

La scène représentée ici correspond bien au texte : Phryné est à Athènes devant un tribunal que le titre de l’œuvre du Louvre mentionne, depuis 1763, comme étant l’Aréopage mais qui est en fait l’Héliée (tribunal populaire tenu la journée contrairement au précédent qui se tenait la nuit), l’homme qui plaide est bien Hypéride et son geste de dénuder le sein de l’accusée ne laisse aucune ambiguité sur le sujet. Dans le morceau de réception conservé au Louvre, exécuté d’une facture bien plus soignée et lisse, les deux vieillards ont été remplacés par des hommes jeunes, probablement afin d’éviter toute confusion avec l’histoire de Suzanne.

Par certains aspects, la facture esquissée et le côté schématique, un peu carré des personnages du tribunal et de la foule, le dessin peut évoquer la main de Jean-Baptiste Deshays plutôt que celle de Baudouin. Il est certain que Baudouin s’est inspiré de son beau-père François Boucher – c’est d’ailleurs ce que dit Diderot à propos du morceau de réception, qui soupçonne que Boucher l’a aidé4 – et sans doute de son beau-frère qui connaissait alors un grand succès, considéré comme le réformateur en germe de la peinture française. Dans les années 1760, Deshays a d’ailleurs exécuté et signé un grand dessin du même sujet, caractéristique de l’artiste par ses personnages ramassés aux visages carrés avec des yeux comme des barres, et dont la composition horizontale accentue encore le côté tassé de l’oeuvre. Ce dessin, n° 12 de la vente des œuvres de Deshays5 et qui a ensuite appartenu à Randon de Boisset6 et Vassal de St Hubert7, est aujourd’hui au Metropolitan Museum (Rogers Fund, 1961, Inv. 61.126). Les formes en sont encore plus carrées et schématiques que dans notre œuvre. Dans celle-ci, les yeux formant des taches n’appartiennent pas à la manière de Deshays qui trace des traits à la place des yeux. On ne retrouve pas non plus sa façon typique de faire les mains par petits traits écarquillés. Les visages des personnages principaux sont en revanche bien caractéristiques de Baudouin.

Un dessin de Baudouin, autrefois dans la collection Baderou, vendu à Colnaghi et aujourd’hui à l’Ashmolean Museum, est une étape intermédiaire entre l’œuvre que nous présentons et le morceau de réception. Par de nombreux détails, il se rapproche de la nôtre : le haut du corps de Phriné qui porte sa main gauche au visage et entrelace son bras droit avec celui de la servante agenouillée, la présence d’un homme âgé et barbu qui écrit en bas à droite, la présence de personnages debout se tenant derrière les juges assis, l’absence de personnages à l’arrière-plan entre le groupe principale et les juges. Ces détails ne se retrouvent pas dans l’oeuvre du Louvre. En revanche, de celle-ci, le dessin de l’Ashmolean contient déjà l’attitude agenouillée de Phriné, la présence de la servante debout derrière l’accusée, l’âge et la position de l’homme qui la dénude, la position debout de la sculpture d’Athena et la forme circulaire du piedestal orné de reliefs et les deux marches.

Le dessin fait donc le lien entre les deux œuvres et montrent qu’elles reviennent sans hésitation au même artiste, Baudouin. Par ailleurs, l’homme âgé et barbu qui écrit en bas à droite dans notre dessin est remplacé dans l’oeuvre du Louvre par un homme plus jeune. Il est cependant conservé mais simplement déplacé à l’extrême droite de la composition, en remplacement d’un autre vieil homme, vêtu de bleu: on n’en voit plus que le buste de profil, mais il est vêtu des mêmes couleurs, manteau vert, drapé d’un gris tirant sur le parme, et esquisse un mouvement de recul similaire.

Il reste plausible que les deux artistes aient discuté de ce projet ou qu’ils l’aient travaillé ensemble. La composition de Deshays a-t-elle vu le jour lors de ces discussions, afin de conseiller son beau-frère ? Pour traiter un sujet d’histoire antique, rare et raffiné, Baudouin s’est probablement inspiré de Deshays tenu alors en si haute estime. Peut-être a-t-il aussi étudié le Mariage de la sainte Vierge (Douai, collegiale de Saint-Pierre) signé la même année par Deshays, qui fait preuve de la même dynamique ascendante de la gauche vers la droite, avec des obliques construites par la disposition des personnages. Le groupe des deux diacres en bas à droite dans l’œuvre de Douai rappelle d’ailleurs tout à fait le groupe des deux figures utilisé par Baudouin au même endroit dans notre dessin comme dans son morceau de réception.

Il semble donc logique de considérer notre dessin comme une œuvre de présentation en taille réelle et dans le médium final pour le morceau de réception, première pensée par la suite largement modifiée parce que probablement non en adéquation avec le texte et source de confusion dans la lecture du sujet. Le morceau de réception entre dans la catégorie des miniatures, il est donc minutieusement exécuté et bien plus soigné que l’esquisse que nous présentons ici : ses architectures sont travaillées avec des lignes tirées à la règle ; l’artiste cherche à obtenir une matière policée, comme s’il travaillait sur ivoire, alors qu’il utilise un papier collé sur ivoire ; il traite avec beaucoup d’applications les détails des frises ornementales sur les architecture, des coiffures des servantes, des habits de l’homme qui écrit en bas à droite etc. Dans notre œuvre, tout cela n’est que suggéré puisque c’est avant tout la force de la composition, la cohérence des couleurs et des formes qui sont à l’épreuve. Cette composition spectaculaire est donc un ajout important à l’œuvre graphique de Baudouin.

  1. Paris, musée du Louvre, Inv. 23700, 464 x 382 mm.

  2. Athénée de Naucratis, Deipnosophistes (XIII, 59), vers 228 après JC.

  3. Plutarque dans ses Œuvres Morales (chapitre 20) parle en effet d’un procès d’impiété.

  4. Salon de 1763 : « Monsieur Boucher, vous n’en conviendrez pas, mais de temps en temps vous avez arraché le pinceau de la main de votre pauvre gendre ? ».

  5. Catalogue de dessins et de tableaux après le décès de M. Deshays, peintre du Roi par Pierre Remy, 26 mars 1765, lot 12 : « Phryné, courtisane d’Athènes, accusée d’impiété et défendue par l’orateur Hypéride. Ce dessein capital fait à la plume, au bistre rehaussé de blanc, est composé de plus de vingt figures dans le style des plus grands maîtres ».

  6. Catalogue de tableaux & desseins précieux des maîtres célèbres des trois écoles, figures de marbres, de bronze & de terre cuite, estampes en feuilles & autres objets du cabinet de feu M. Randon de Boisset, Receveur général des Finances, par P. Remy […], 27 février 1777 : Jean-Baptiste Henri Deshays : lot 372 : Phriné devant l’Aréopage, sujet tiré de l’histoire grecque. Acheté par Desmarest.

  7. Catalogue d’une riche collection de dessins et estampes des plus grands maîtres des trois écoles montés sous verre & en feuilles ; pastels & miniatures de Rosalba, & d’autres bons Maîtres ; de très belles gouaches, &c. qui composent le cabinet de M. *** par Pierre Remy, 29 mars 1779, lot 150 : Jean Baptiste Deshays : « Phryné devant l’Aréopage, sujet tiré de l’histoire grecque, ce bon dessin est lavé de bistre, rehaussé de blanc ; il porte 10 pouces 9 lignes de haut sur 22 pouces de larges. ». Selon le Getty Provenance Index Databases, il s’agit de la collection de Jean-Antoine-Hubert Vassal de Saint-Hubert (1741-1782), fermier général et valet de chambre du Comte de Provence. Les dimensions correspondent à celles du dessin :  47,5 x 60,2.