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Baratta

Carlo Alberto

Gênes 1754 – 1815

Pyrame et Thisbé

Plume et encre noire, pinceau et lavis gris,
rehauts de gouache blanche.
398 x 551 mm (15 10/16 x 21 11/16 in.)

Formé d’abord de façon autodidacte par l’étude des œuvres des artistes du baroque génois, dont Valerio Castello, Domenico Piola, Gregorio et Lorenzo de Ferrari, Carlo Baratta finit par entrer à l’âge de vingt-quatre ans à l’Accademia Ligustica, fondée en 1751. Comme son contemporain Giovanni David, il se montre très actif en tant que décorateur de théâtre et scénographe. Il travaille dès 1782 pour le théâtre Sant’Agostino, considéré, depuis sa création en 1702, comme le premier théâtre public de Gênes et où Paganini fera ses premières prestations. Des dessins témoignent de cette activité, à l’image d’un Escalier souterrain, d’inspiration piranésienne, conservé au Palazzo Rosso de Gênes (inv. 1639). Contrairement à Giovanni David cependant, Baratta ne quittera jamais Gênes. Les deux artistes collaborent parfois et c’est d’ailleurs Baratta qui termine son cycle sur sainte Agnès à l’église Nostra Signora del Carmine e Sant’Agnese.

Carlo Baratta peint plusieurs décors dans des églises liguriennes comme, par exemple, une Apparition de la Vierge dans le sanctuaire de la cathédrale de Nostra Signora dell’ Orto à Chiavari, la Translation de l’image de Notre-Dame du Jardin pour la voûte de cette même cathédrale, une Présentation au temple à la basilique de Santa Maria Assunta de Camogli ou encore une Éducation de la Vierge au couvent des Capucins de Voltaggio. Pendant la période révolutionnaire, il est chargé d’organiser un musée destiné à rassembler les œuvres confisquées aux ordres religieux sous Napoléon.

Cette spectaculaire feuille, proche d’un décor de théâtre, met en scène le drame nocturne de Pyrame et Thisbé. L’histoire du double suicide des jeunes Babyloniens est racontée par Ovide dans ses Métamorphoses (4, 43-166). Malgré l’opposition de leurs parents, Pyrame et Thisbé s’aiment et décident de se retrouver la nuit hors de la ville, près du bûcher de Ninus, à côté d’un « haut murier » aux « fruits abondants, blancs comme neige ». Arrivée la première au lieu du rendez-vous, Thisbé croise une lionne qui vient de massacrer des bœufs. Laissant tomber son voile, elle fuit et se réfugie dans une grotte. La lionne à la gueule ensanglantée se saisit du foulard et le salit. Lorsque Pyrame arrive, il découvre le voile souillé et, pensant que Thisbé a été tuée par le fauve, se plonge une épée dans le corps. Son sang imbibe les racines de l’arbre et asperge ses fruits qui deviennent rouges. Revenue au lieu du rendez-vous, Thisbé se tue à son tour devant le corps de Pyrame. L’histoire fut très souvent traduite tout au long du Moyen-Âge, reprise et enrichie par de nombreux dramaturges : Masuccio de Salerne s’en inspire au XVe siècle pour Giannoza et Mariotto, tout comme Luigi da Porto (1485-1529) pour Giuletta et Romeo, plus tard librement adapté par Shakespeare à son tour. Elle a aussi souvent été mise en musique à la fin du XVIIIe siècle.

Baratta donne une représentation relativement fidèle au texte ovidien ; à droite de la scène se trouve le murier, au milieu le bûcher du roi de Babylone. Celui-ci ressemble à la partie supérieure d’un temple qui serait enterré et dont on ne verrait que l’entablement et la corniche. C’est probablement une conséquence des traductions médiévales du texte qui parlent parfois d’un mausolée enterré. Quoi qu’il en soit, l’imposante construction est l’occasion pour l’artiste de faire la démonstration de sa science de la perspective. Elle est caractéristique du goût pour l’architecture et les motifs antiques de cette fin du XVIIIe siècle. Les bucranes, associés à l’ordre dorique par les traités d’architecture de la Renaissance, sont habituellement placés dans les métopes, comme c’est le cas ici, ou sur les autels. Ils évoquent les cranes de bœufs sacrifiés accrochés dans les temples dans l’Antiquité et symbolisent donc les victimes offertes en sacrifice aux Dieux ou les sacrifices accompagnant les obsèques pendant l’empire romain. Par extension, ils symbolisent ici le geste des jeunes amants qui font sacrifice de leur vie l’un pour l’autre. La fontaine mentionnée par Ovide (parfois une rivière dans les textes médiévaux) se retrouve accolée au mausolée, sans doute par commodité de représentation. À côté se trouve un cupidon éploré, symbole de l’amour tragique de Pyrame et Thisbé.