Novelli
Pietro Antonio
Venise 1729 — 1804
Un pêcheur offrant un homard et des poissons à une jeune femme et un enfant
Plume et encre noire, lavis gris.
Le verso rougi pour le transfert. Inscrit estghi ? en haut au centre.
Numéroté 215 au crayon, dans un encadrement, au verso.
375 x 525 mm (14 12/16 x 20 11/16 in.)
L’inventivité, la légèreté et le sens de l’humour caractéristiques du style rococo règnent dans cette grande et étonnante feuille qui met en scène un pêcheur tendant à une jeune femme accompagnée d’un petit enfant un plateau pourvu d’un gros homard et de poissons. Spectaculaire et inédit, ce dessin peut être attribué sans hésitation à Pietro Antonio Novelli, artiste vénitien que l’on persiste souvent à confondre avec son homonyme, le peintre sicilien du XVIIe siècle Pietro Novelli. Né à Venise d’une famille noble originaire de Trévise, mais rapidement orphelin de père, Novelli est soigneusement élevé par son tuteur Don Pietro Antonio Toni da Varana qui lui lègue à sa mort une collection de dessins, d’estampes et de livres. Cultivé et intellectuellement ambitieux, Novelli se forme à l’Académie de Venise fondée quelques années auparavant. Vers la fin des années 1750, autour de la trentaine, il produit des illustrations pour certains projets de publications et des tableaux, tels que La Présentation au temple et de La Vierge de Buonconsiglio, deux toiles réalisées pour l’église de San Francesco di Rovigo (1759), ainsi que le tableau d’autel représentant Le Cœur de Jésus adoré par saint Joseph pour l’église de Santa Fosca à Venise (1760). Il est nommé professeur à l’Académie de Venise 1768 avec Le Dessin, la Couleur et l’Invention, morceau de réception d’un classicisme d’inspiration bolonaise mais encore empreint d’un rococo gracieux (conservé aux Galeries de l’Accademia). Novelli exécute plusieurs décors à Venise et dans les environs, d’un style léger et lumineux combinant l’élégance du classicisme et la gaieté du rococo.
En 1772, Catherine II de Russie lui commande La Famille d’Énée (Ermitage), pour accompagner Chiron livre Achille à Thétys de Pompéo Batoni. Après plusieurs séjours à Bologne, il est admis à l’Accademia Clementina, présidée par Vittorio Bigari. Un voyage à Rome en 1779 lui insuffle une simplicité nouvelle : la Cène qu’il peint pour le couvent vénitien de San Lazzaro degli Armeni lui vaudra la commande du décor du plafond d’un salle du casino du prince Marcantonio Borghese sur le thème de Cupidon et Psyché (1780-1781). À Rome, il est très soutenu par le milieu vénitien autour du prince Abbondio Rezzonico et de l’ambassadeur Zulian, qui compte notamment Giacomo Quarenghi, Antonio Canova, Francesco Piranesi et Giovanni Volpato et l’architecte Gianantonio Selva.
C’est avec ce dernier qu’il collabore, une fois de retour à Venise, pour créer les décors de nombreux palais entre Padoue et Venise, avec un style se situant toujours entre néo- classicisme et baroque tardif. Moins à l’aise dans le registre religieux, il réalise tout de même quelques décors notables à l’exemple des huit panneaux monochromes de la sacristie de la cathédrale d’Udine sur le thème de l’histoire du patriarcat d’Aquilée, en collaboration avec le quadraturiste Giuseppe Morelli (1792). Le dernier grand cycle décoratif qu’il conçoit, en 1794, est celui du château San Salvatore di Collalto, près de Susegana, aujourd’hui détruit et connu simplement par les photographies.
Illustrateur prolifique, Novelli produit de nombreuses compositions et séries destinées à être gravées et se prête au jeu de l’émulation entre la gravure et le dessin ; certaines de ses compositions dessinées ressemblent à des gravures, par leur graphie minutieusement hachurée et leur jeu sur les gris, comme c’est le cas de notre feuille. La destination de ce grand dessin reste incertaine. Le verso rougi pour le transfert semble en effet indiquer un projet de transfert en gravure mais les contours n’étant pas incisés, ce projet n’a probablement pas abouti. Sa taille et sa composition chantournée en font peut-être un projet pour le décor d’un palais vénitien. Le propos galant de la composition, qui rappelle les pastorales si caractéristiques du style rococo, est ici opportunément adapté au monde marin de Venise. Algues, coquillages, poissons et coraux tapissent le sol en guise de fleurs. Au lieu du berger galant, c’est un pêcheur qui offre à une jeune femme les richesses de la mer, crustacés, poissons, coquillages, devant un bateau dont la proue et la voile dépassent à l’arrière de la composition. L’artiste joue sur les contrastes et les comparaisons : la taille du homard, presqu’aussi grand que l’enfant, la rusticité du pêcheur face à la joliesse de la jeune femme, le filet du premier contre la guirlande de fleurs de la seconde soulignent l’aspect à la fois cocasse et charmant de la scène, l’incongruité de l’offrande.