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Gonzaga

Pietro di Gottardo, called Pietro

Longarone 1751 — Saint-Pétersbourg 1831

Projet pour un rideau de scène de la Fenice à Venise

Aquarelle et rehauts de blanc sur plume et encre brune, lavis gris.
Inscrit SOFOCLE, TERENZIO, ARISTOFANE et d’autres noms illisibles.
640 x 480 mm (25 1/4 x 18 3/4 in.)

Grand décorateur de théâtre, formé à Venise dans les années 1760-1770, Pietro Gonzaga est profondément influencé par Tiepolo et Piranèse. Sa carrière démarre à Milan où il étudie avec les décorateurs Bernardino Fabrizio et Giovanni Antonio Galliari et participe à l’inauguration du nouveau théâtre de la Scala en 1778, avec des scènes pour le ballet Calypso abbandonnata (Calypso abandonnée). Ses décors y seront régulièrement admirés jusqu’en 1792. Dans la même ville, il peint également des décors pour le théâtre Canobbiana en 1779. Un séjour à Rome lui permet d’étudier rigoureusement les monuments antiques, formation indispensable à la peinture scénographique. Il travaille ensuite pour de nombreux autres théâtres à Parme, Gênes, Rome et Venise et ses œuvres, extrêmement admirées, sont souvent copiées. C’est donc un artiste qui jouit déjà d’une grande célébrité lorsqu’il lui est demandé de participer à l’inauguration du nouveau théâtre vénitien, La Fenice, conçu par Gian Antonio Selva. L’inauguration a lieu le 16 mai 1792 avec I Giuochi d’Agrigento (Les jeux d’Agrigente), opéra d’Alessandro Pepoli mis en musique par Alessandro Paisiello, dont le livret précise que les rideaux de fond des scènes de l’opéra sont l’œuvre de Francesco Fontanesi et ceux des ballets de Pietro Gonzaga.

Notre dessin, dont les dimensions et le degré d’achèvement sont rares dans l’œuvre graphique de l’artiste, semble être un projet très abouti pour l’un de ces rideaux. On en trouve la description dans Memoria storica del teatro La Fenice in Venezia : « Le Cavalier Francesco Fontanesi, l’un des ceux chargés du choix des modèles, a peint les scènes de l’opéra, et Pietro Gonzaga Bellunese, appelé par erreur Veneziano dans le livret du drame, a réalisé celles des ballets. Le deuxième rideau, c’est-à-dire le rideau des ballets, connut un grand succès, exécuté par Gonzaga avec une maîtrise qui portait l’illusion à son paroxysme. Il représente avec une rare simplicité l’atrium voûté d’un temple, à base circulaire, dont la porte entrouverte laisse entrer furtivement une lumière très vive qui indique que le sanctuaire d’Apollon s’y trouve. Les muses sont à l’extérieur ; Euterpe et Terpsichore, les plus mises à l’honneur, se hâtent avec leurs sœurs Thalia, Melpomène et Érato, d’aller célébrer leur Dieu, pendant que la Renommée plane dans les airs en sonnant les trompettes de Clio. Les statues des philosophes et poètes les plus célèbres, anciens comme modernes, scandent le long de l’intérieur du bâtiment. En quarante-quatre ans, cette toile prodigieuse fut repeinte à deux reprises, car on pensait qu’il n’y avait rien de mieux que de la conserver, comme décor de théâtre et encouragement aux beaux-arts.1 » La Gazetta veneta urbana du 23 mai 1792 donne également une description détaillée du rideau, s’intéressant particulièrement à l’architecture du temple. Un des autres rideaux de fond réalisés par Gonzaga pour cette pièce, représentant une forêt, fut lui aussi très admiré du public2.

Il existe au moins trois feuilles dans lesquelles Gonzaga étudie cet atrium d’un temple circulaire, avec des personnages, mais elles sont bien plus schématiques : la plus aboutie est à l’Ermitage de Saint Pétersbourg (Fig. 1)3, une autre était dans la collection Ugo Sofia-Moretti4 dans les années 1960 ; la troisième, simplement à la plume, est sur le marché de l’art (Fig. 2)5. Ces trois dessins semblent des esquisses préalables à notre projet. Ils comportent déjà les personnages, d’un nombre différent sur chacun, ce qui est rare chez Gonzaga. L’idée des statues des auteurs est déjà bien avancée dans l’esquisse de Saint- Pétersbourg qui précise le nom de deux auteurs centraux, Eschyle et Sophocle ; ils sont devenus Aristophane et Terence dans notre dessin. Une quatrième feuille passée en vente chez Christie’s en 2004 ne comporte pas les personnages ; d’une qualité bien moindre, son attribution n’est pas certaine6.

Dès l’exposition de 1967 à la Fondation Cini, le dessin de Saint-Pétersbourg y est décrit comme le bozzetto d’un rideau de la Fenice. L’autrice du catalogue, Maria Teresa Muraro, note aussi que l’artiste aurait exécuté une variante de ce projet pour le rideau du petit théâtre de Pavlovsk. Dès le début de l’année 1792, avant même l’inauguration de la Fenice, l’artiste signe en effet des travaux en Russie, où il s’était rendu sur l’invitation de Nikolaï Youssoupov, directeur de la musique et de l’apparat à la cour de Catherine la Grande pour devenir peintre en chef. Sa carrière connait un grand essor, il révolutionne le décor de théâtre avec des trompe l’œil, des illusions d’optique et des clairs-obscurs dramatiques ; il entre à l’Académie de Saint Pétersbourg, ouvre un atelier couru et reçoit de nombreuses commandes de scénographie. À la mort de l’impératrice, il est chargé de la conception du catafalque funéraire et de l’arc de triomphe érigé pour le couronnement de Paul Ier. Pour Paul Ier et sa femme, il s’occupe, entre autres, de la rénovation du parc de Pavlosk et de la décoration intérieure du palais.

Au moins trois autres feuilles représentant un vestibule circulaire très semblable mais esquissées et avec des variantes notables sont en Russie, à l’Ermitage7 et au musée-palais d’Arkhangelsk8, ce qui montre l’intérêt que portait l’artiste à ce motif, qu’il a pu utiliser ultérieurement à son rideau de la Fenice pour d’autres projets. Le cabinet des arts graphique de l’Ermitage possède deux cents dessins de Gonzaga, dont 130 sont indéniablement autographes, le reste devant certainement être rendu à son atelier. Notre dessin, d’une dimension spectaculaire et d’un degré de finition rare, est donc le témoignage le plus abouti de l’un des rideaux les plus admirés de La Fenice, détruit dans l’incendie de 1836.

  1. Memoria Storica del Teatro La Fenice in Venezia, Venise, Giuseppe Orlandelli, 1839, p. 32-33.
  2. “Rettificazioni Schiarimenti ed Aggiunti alla Memoria storica del teatro La Fenice in Venezia, parte prima edita anno 1838” dans Memoria Storica del Teatro La Fenice in Venezia, Venise, Giuseppe Orlandelli, 1839, p. 53.
  3. Musée de l’Ermitage, Inv. OP 34394, 360 x 444 mm, entré en 1923, autrefois dans la collection Stieglietz. Publié dans : M.T. Muraro, Scenografie di Pietro Gonzaga, Venise, N. Pozza, 1967, p. 68-69, n° 96 ; Pietro Gonzaga, esquisses et peintures décoratives, catalogue d’exposition, Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage, 1980, n° 2, p. 22 ; Myzyka v Ermitazhnom teatre. 1786-1796 (Musique au théâtre de l’Ermitage), catalogue d’exposition, Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage, 2006, n° 9, 18 ; Pietro Gonzaga, catalogue d’exposition, Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage, 2011, n° 89, p. 342.
  4. A. Pica (entry) dans U. Sofia-Moretti, Pietro Gonzaga, scenografo e architetto veneto (1751 Longarone – Pietroburgo 1831) e l’ambiente artistico del suo tempo, Milan, Le Grazie, 1960, n° 2.
  5. Paris, Galerie La Nouvelle Athènes, mars 2024, catalogue d’exposition.
  6. Londres, Christie’s, 10 décembre 2004, lot 355 (pierre noire, plume et encre brune, lavis brun, 212 x 278 mm).
  7. Musée de l’Ermitage Inv. 13528 : Panthéon, l’intérieur de la rotonde centrale est visible et des oculi ont été ajoutés au-dessus de l’entablement.
  8. F.A. Sirkina, Pietro di Gottardo Gonzaga, Vie et Œuvre, 1974, n° 51, 76 et 85 et Muraro, op.cit., 1967, n° 96, p. 68-69.