Guido Reni
Guido Reni
Bologna 1575 – 1642
Study for the Head of an Angel | Étude de tête d'ange
Pierre noire, sanguine et pastel sur papier marouflé sur vélin, contours incisés
Inscrit Del Guido Reni en haut à gauche
425 x 295 mm (16 ¾ x 11 5/8 in.)
Cette belle étude d’une tête de jeune homme est préparatoire à L’Annonciation peinte par Guido Reni en 1620-1621 pour l’église San Pietro in Valle de la commune de Fano. L’œuvre, décrite comme « piuttosto deteriorata [1] » en 1971, a été restaurée en 1988. Reni avait été l’élève modèle de Dionysos Calvaert puis celui des Carracci, avant de s’établir de manière indépendante vers 1598. Au début des années 1600, ses œuvres, qui allient avec élégance le classicisme issu de sa formation au réalisme du Caravage, connaissent à Rome un immense succès. Obtenant de prestigieuses commandes papales, Guido Reni devient un artiste très prisé dont la célébrité s’étend loin aux alentours de la cité éternelle.
Fondée en 1610, l’église de San Pietro in Valle à Fano, dans les Marches, fut construite sur les ruines d’une église médiévale grâce au père Girolamo Gabrielli. Les historiens de l’art s’accordent à penser, sur la base de plusieurs documents d’archive, que c’est ce disciple direct de saint Philippe de Neri, recteur de l’ordre des Oratoriens, qui commanda L’Annonciation à Guido Reni, ainsi que Le Christ remettant les clés à saint Pierre aujourd’hui au musée du Louvre. L’artiste avait déjà travaillé pour l’ordre et avait notamment réalisé, entre juin et octobre 1614, l’effigie de son fondateur dans un tableau d’autel destiné à la chapelle Saint-Philippe-de-Neri de l’église Santa Maria in Vallicella à Rome. La commande de l’église de Fano est documentée par des échanges épistolaires publiés et étudiés à plusieurs reprises [2], qui permettent d’établir la chronologie de la création des tableaux. Destinée à orner la chapelle familiale du père Gabrielli, L’Annonciation a été commencée durant l’année 1620 et livrée à l’église en septembre 1621. Dans une lettre du 23 mars 1622, Guido Reni promet de s’atteler tout de suite à la seconde œuvre commandée, « l’altra tavola del Salvatore con S. Pietro ».
Bien que L’Annonciation ait été admirée et louée de nombreuses fois [3], notamment par Simone Cantarini qui le considérait comme l’un des plus beaux tableaux du monde [4], il pourrait ne pas avoir donné entière satisfaction à son commanditaire. En effet, en 1622, dans une lettre à Gabrielli à propos du second tableau commandé et déjà en cours, Guido Reni écrit qu’il espère « faire une chose meilleure que la première ». Aveu honnête de sa déception ou simple fausse modestie de courtisan, la phrase de Reni a entraîné plusieurs interprétations et son sens réel ne pourra jamais être percé. Ce qui est certain cependant, c’est que l’œuvre est très novatrice à plusieurs points de vue. Stephen Pepper a largement commenté les deux aspects les plus surprenants, la lumière et l’iconographie, toutes deux très innovantes [5]. La lumière, évoquée par Reni dans sa correspondance à propos du tableau, ouvre sur une discussion fascinante relative à son rôle dans la peinture et à son rapport avec la lumière naturelle extérieure au tableau. Quant à l’iconographie, elle surprend par le choix du moment représenté et la réaction de la Vierge. En général, l’Annonciation met en scène l’ange qui, désignant le ciel de son bras droit, livre son message à la Vierge. La réaction de celle-ci est codifiée et doit exprimer interrogatio, humiliatio et meritatio : la tête baissée, la main sur le cœur, la Vierge doit avoir un mouvement de recul. Cette iconographie traditionnelle est bien celle utilisée par Guido Reni dans ses autres Annonciations, antérieures et postérieures à celle de Fano. Dans cette dernière, l’ange, pointant le ciel de sa main gauche, vient juste d’apparaître à la Vierge, de laquelle on attendrait l’expression d’une certaine conturbatio, au lieu de l’attitude altière et directe qui, d’après Raffaella Morselli, tient plus de la statuaire antique que de la peinture sacrée [6]. L’historien a également souligné l’absence des accessoires habituels de cette iconographie : livre, panier, dallage, ouverture sur un paysage, etc., ce qui a pour effet de placer la scène dans un espace surréel et n’est en réalité pas conforme aux instructions de la Contre-Réforme. Tout ceci explique certainement la réaction mitigée des commanditaires à la réception de l’œuvre.
Notre Étude de tête d’ange, incisée, a été utilisée pour le transfert du dessin sur la toile. Peut-être fragment d’un carton autrefois plus grand et découpé, elle a été montée sur vélin, preuve de la volonté de préserver sa beauté et de la valeur qu’on lui prêtait, malgré son statut originel d’outil de travail. L’élégante écriture, non identifiée, mentionne Del Guido Reni. Ses e sont caractéristiques de l’époque et similaires à ceux que trace Guido Reni dans sa propre signature. Elle est donc contemporaine de l’œuvre. Comme Raphaël, comme Annibale Carracci et comme son contemporain Domenichino, Guido Reni a utilisé de nombreux cartons préparatoires, qu’il confiait aux assistants et collaborateurs chargés de peindre certaines parties de ses tableaux. Seul un petit nombre de ces cartons demeure. La Galleria Estense de Modene en conserve deux, à la pierre noire, d’environ un mètre carré, préparatoires aux putti du dôme de la cathédrale de Ravenne.
Contrairement à Domenichino, Reni utilise presque toujours de la couleur dans ses études de tête et mélange les craies noire, rouge et blanche. Ses études au pastel sont aujourd’hui assez rares, mais l’examen des ventes anciennes révèle plusieurs études de tête « de grandeur naturelle », « aux trois crayons mêlés de pastel »[7] et on peut signaler cet usage, qui deviendra, plus tard, une habitude pour certains dessinateurs bolonais, Canuti par exemple.
L’étude, par son expressivité, la vivacité de ses coloris, la tension de la tête, rappelle certains dessins préparatoires de Federico Barocci. Lui-même originaire des Marches, Barocci avait réalisé l’un de ses tableaux les plus magistraux pour l’église Santa Croce de Senigallia, à quelques kilomètres seulement de Fano. Guido Reni, dans la préparation des siens ne pouvait qu’avoir à l’esprit cette proximité et la comparaison qui pourrait être faite entre eux. On pouvait admirer à Rome plusieurs des travaux du maître dont l’influence sur Reni a été observée à plusieurs reprises, notamment à propos de son Christ en croix, réalisé pour le duc d’Urbin (au Prado à Madrid) qui aurait influencé l’œuvre du même sujet de Reni aujourd’hui à l’Ambrosiana.
Quoi qu’il en soit, la douceur de l’expression, la subtilité de la carnation, la sensation d’une lumière émanant de l’intérieur de l’ange révèlent la sensibilité profonde de Guido Reni. Grandeur nature et d’une fraîcheur extraordinaire, cette étude de tête d’ange est l’œuvre de l’un des plus grands artistes du Seicento pour l’un de ses plus beaux tableaux.
[1] « plutôt détériorée », Cesare Garboli, Edi Baccheschi, L’opera completa di Guido Reni, Milan, Rizzoli, 1971, n° 108, illustré.
[2] GS Scipioni, « La chiesa di S. Pietro in Valle a Fano », Rassegna Bibliografica dell’Arte italiana, I, 11-12, 1898, p. 229-237 ; Sir Denis Mahon « Some suggestions for Reni’s chronology », The Burlington Magazine, 99, 1957, p. 241 ; Rodolfo Battistini, « L’Annuciazione di Guido Reni e le lettere ritrovate », Guido Reni. La Consegna delle chiavi. Un Capolavoro ritorna, catalogue d’exposition, Fano, Fondazione Cassa di Risparmio et Pinacoteca San Domenico, 2013, p. 60-67.
[3] Carlo Cesare Malvasia, Felsina Pittrice : vite de’pittori bolognesi, 1678, ed. 1841, II, p. 382 ; Francesco Scannelli da Forli, Il Microcosmo della Pittura, Cesena, Peril Neri., 1657, p. 352. Luigi Scaramuccia quant à lui confesse qu’il lui « donnerait presque le nom de divin » et rappelle à son tour l’admiration de Cantarini dans son ouvrage Le finezze de pennelli italiani, Pavie, Giovanni Andrea Magri, 1674, p. 185.
[4] Malvasia rapporte en effet ces propos de Simone Cantarini, qui produisit lui aussi un tableau pour San Pietro in Valle dans Felsina Pittrice, op.cit., II, p. 382.
[5] D. Stephen Pepper, La Pinacoteca Civica di Fano. Catalogo generale. Collezione Cassa di Risparmio di Fano, Milan, 1993, p. 265, n° 484.
[6] Andrea Emiliani, Anna Maria Ambrosini Massari, Marina Cellini, Raffaella Morselli, Simone Cantarini nelle Marche, catalogue d’exposition, Venise, Marsilio, 1997, p. 29-32.
[7] La vente Nourri du 24 février 1785, par exemple, contient dans le lot 530 « deux têtes d’anges, l’une au crayon noir rehaussé de blanc, l’autre au pastel », dans le lot 531 « deux de Vieillard au pastel » et dans le lot 534 « une tête de Christ dessinée au trois crayons mêlés de pastel ».