Luigi Miradori, dit il Genovesino
Luigi Miradori, dit il Genovesino
Gènes vers 1610 – Crémone 1657
The Sacrifice of Isaac | Le sacrifice d'Isaac
Huile sur toile
149,3 x 112 cm (58 3/4 x 44 1/16 in.)
Pour Lia Bellingeri qui a consacré une petite monographie à l'artiste, Luigi Miradori dit le Genovesino est la personnalité artistique la plus importante au XVIIe siècle à Crémone, mais aussi l'un des protagonistes les plus intéressants du Seicento lombard [1].
Grâce à la description de Giambattista Biffi, nous savons que Luigi Miradori « était un homme jovial, fin et à la riposte prompte, d'une conversation habile, [qui] montrait son ingéniosité à chaque rencontre, et en beaucoup d'occasion, un grand courage, à cette époque où l'on recourait abusivement à l'épée. Il jouait excessivement bien de la mandoline.... Il marchait dans la ville portant son béret rouge, les moustaches à la mode espagnoles et une petite barbe au menton[2]». Biffi et Desiderio Arisi pensent d'ailleurs pouvoir identifier l'autoportrait de l'artiste dans l'homme au béret de la grande Multiplication des pains (Crémone, Palais communal) et du Supplice de San Giovanni Damasceno (localisation inconnue)[3].
Originaire de Gènes, selon Giovanni Battista Zaist et Giuseppe Grasselli[4], c'est probablement là que Miradori est formé avant d'être actif à Milan, Plaisance et surtout Crémone où il s'installe autour de 1635-1637. C'est à cette dernière ville qu'il reste principalement associé encore aujourd'hui malgré son surnom de « Genovesino » et dont il acquit, toujours selon Zaist, la « cittadinanza ». Il est d'ailleurs fait mention d'un nombre important de ses tableaux dans les inventaires des collections de Crémone ; il est malheureusement impossible de retrouver la trace de la plupart d'entre eux. Quelques tableaux signés et datés fournissent des indications chronologiques précieuses, comme La Naissance de laVierge et La Décollation de saint Paul, tous deux au Museo Civico de Crémone et datant de 1642. De même, quelques documents d'archives renseignent sur les commandes, par exemple une Adoration des Mages, aujourd'hui perdue, fut commandée en 1639 par l'abbé Melchiorre Aimi ou un Saint Eusèbe payé en 1647 par le comte Nicolò Ponzone. Mais la datation des œuvres doit le plus souvent s'opérer sur des bases stylistiques, en fonction des différentes influences que l'on décèle en chacune d'elles : les influences génoises de Strozzi et Ferrari, qui vont se prolonger longtemps dans son œuvre ; les influences caravagesques, introduites à Gènes par Gentileschi et Vouet ; les influences toscanes ; enfin celle de Pietro Ricchi qui, lors de son passage à Crémone en 1647, participe à accélérer le renouvellement des formules picturales utilisées localement et héritées de l'art des Campi et de Giovanni Battista Trotti, dit il Malosso.
Miradori a traité le sujet du Sacrifice d'Isaac à deux reprises au moins, peut-être trois. En effet, il existe, en plus de la nôtre, une version au Figge Art Museum de Davenport (fig. 1), et une autre passée en vente à Vienne chez Dorotheum (fig. 2) comme « attribuée à Miradori[5] ». Ces trois versions d'un même sujet partagent la même atmosphère et présentent d'intéressantes correspondances. Les couleurs des costumes et des carnations sont proches : la tunique jaune d'Abraham, la chemise blanche et bouffante de l'ange portée sous sa robe rouge et la peau brunie d'Isaac dans notre tableau se retrouvent, presqu'à l'identique, dans l'œuvre du Figge Art Museum. Dans le tableau de Dorotheum, le motif d'Isaac endormi est repris du nôtre et simplement inversé, tandis que la physionomie d'Abraham semble plutôt empruntée à celui du Figge Art Museum. Cette façon de travailler est typique de Miradori qui réutilise dans différentes œuvres des motifs et des physionomies, d'ailleurs parfois inspirées par les gravures, de Goltzius ou de Callot par exemple.
Comment dater notre œuvre, d'une part dans la globalité de l'œuvre de Miradori, d'autre part par rapport à ces deux autres versions? Elle porte encore indéniablement la trace d'un passage à Gènes. On discerne l'influence de Bernardo Strozzi dans plusieurs éléments : la palette brune, la physionomie un peu bouffie de l'ange, la manière dont les formes se détachent d'un fond sombre, les drapés froissés et la touche visible et pâteuse. L'idée de l'ange qui flotte au-dessus d'Abraham provient lointainement de l'ange du Caravage qui vient souffler son inspiration à Saint Matthieu dans l'œuvre conservée à Rome à l'église Saint-Louis-des-Français. L'influence de Pietro Ricchi ne semble pas très importante dans notre œuvre, contrairement à celle de Dorotheum dans laquelle le long visage de l'ange aux yeux en amande, le profil busqué et la longue barbe mousseuse d'Abraham ainsi que la palette grise et évanescente, rappellent tout à fait cet artiste itinérant. Formé à Florence, Ricchi mourut à Udine, en ayant travaillé à Bologne, Rome, Lyon, Venise, Padoue, en Lombardie, et notamment à Crémone en 1647. Notre tableau pourrait donc être antérieur à cette date. Mais il est impossible d'en être certain, en l'état actuel des connaissances sur l'artiste. L'artiste semble avoir retenu de la leçon du caravagisme la volonté de représenter avant tout des êtres humains : insistant sur le côté charnel, physique de la scène, il choisit des physionomies réalistes, sans aucune idéalisation, auxquelles peuvent s'identifier les spectateurs. Le visage buriné et râpeux du patriarche des tribus d'Israël, le corps ramassé, brun et trapu d'Isaac, les pieds potelés de l'ange et ses orteils irréguliers évoquent une réalité tangible. Ce réalisme poussé ne prive cependant pas l'œuvre de toute poésie ou de tout sens du mystère. Miradori a épuré l'épisode de presque tous ses accessoires – buisson, feu, nuage de fumée, bélier – pour n'en garder que les protagonistes, placés sur un fond sombre. L'ange a enroulé son bras gauche autour du cou d'Abraham pour retenir la main qui s'apprête au sacrifice mais leurs regards ne se croisent pas vraiment : la révélation d'Abraham est en réalité intérieure et c'est plus à l'intention du spectateur que du patriarche que l'ange tend sa main droite vers l'arrière, désignant le bélier destiné à être substitué à Isaac, qui n'est cependant pas représenté sur la toile.
Miradori semble avoir manipulé les mêmes motifs d'une version à l'autre, ce qui les lie étroitement. La nôtre possède cependant une force visuelle particulière. L'attitude d'Isaac, totalement soumis à son sort ; le visage d'Abraham, marqué par la stupeur et le choc ; le vol suspendu de l'ange et la texture de son aile grise qui s'étend au dessus de la scène comme un ciel d'orage; enfin, l'étrangeté des postures, participent tous à transmette avec force le sentiment de cette révélation, qui constitue l'un des grands passages de l'Ancien Testament.
[1] Lia Bellingeri, Genovesino, Salento, Mario Congedo Editore, 2007.
[2] G. Biffi, Memorie per servire alla storia degli artisti cremonesi, edited by L. Bandera Gregori, Crémone 1989, p. 262 – 270.
[3] Lia Bellingeri, op. cit., p. 13.
[4] Giambattista Zaist, Notizie Istoriche De Pittori, Scultori, Ed Architetti Cremonesi ..., Crémone, Pietro Ricchini, 1774, volume 2, p. 98 ; Giuseppe Grasselli, Abecedario biografico dei pittori, scultori ed architetti cremonesi, Cremona, Co. Torchj D'Omobono Manini, 1827, p. 176.
[5] Cette oeuvre est passée en vente chez Dorotheum le 18 avril 2012, lot718. Elle n'est pas reproduite dans l'ouvrage de Lia Bellingeri (op. cit.) et nous ne savons pas si elle est acceptée dans le corpus de l'artiste. Elle est de toute façon en rapport étroit avec les deux versions du Sacrifice d'Isaac et peut être à ce titre apportée comme point de comparaison.